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Facteurs de pianos en France
PLEYEL
SAX
à Paris
(°1824)
à Paris (°1843)
CORRESPONDANCE
PLEYEL-FÉTIS-SAX
Revue et gazette musicale de Paris, Volume 18, 1851
DÉCOUVERTE D'UN NOUVEAU PRINCIPE PHYSIQUE POUR LE PERFECTIONNEMENT DES PIANOS, PAR M. SAX PÈRE. "27 avril 1851 : C'est une intéressante famille d'artistes que celle de ces hommes d'invention qui, dans une incessante activité d'esprit, ne se préoccupent que de découvertes et d'améliorations d'instruments, et souvent oublient le soin de leur fortune, considérant comme un bien-être suffisant pour eux ce que d'autres appeleraient le strict nécessaire. Et ce qui ajoute encore à l'intérêt qu'inspire cette famille des Sax, c'est de la voir en butte d'un part à l'envie déployant toutes ses ruses pour rabaisser le mérite qui l'offusque; de l'autre, à la cupidité, qui, plus habile dans l'art de l'exploitation, s'empare effrontément du fruit des méditations de ces hommes d'élite, et trouve protection pour ses larcins. Que d'efforts n'a pas coûté à chacun des membres de cette famille la nécessité de lutter contre la mauvaise fortune, sans perdre la sérénité d'esprit qui dirige leurs travaux ?
Mais rien ne les abat,
et plus forts après les événements les plus désastreux et les moins
attendus, ils se relèvent par la seule impulsion d'une âme
vigoureuse et d'un intelligence supérieure. Sa condition est celle de l'ouvrier, mais son organisation est celle du génie. Dès ses premières années, la connaissance du dessin linéaire lui devient familière. Entré dans un atelier de menuiserie, il y porte cette connaissance qui, réunie à son adresse manuelle, à son intelligence, à sa force physique, lui donne sur tous ses compagnons la supériorité du maître sur l'élève. A peine sorti de l'enfance, sa réputation d'habileté s'est déjà répandue dans le pays, et le chef d'un grand établissement de construction de machines l'appelle dans ses ateliers. Là, Sax s'instruit dans tous les genres de travaux relatifs à la mécanique; bientôt il ne lui reste plus rien à apprendre, et d'ouvrier il devient contre-maître. La chute de l'empire entraîne celle de l'établissement où il travaillait ; il prend alors la résolution de se fixer à Bruxelles et de s'y livrer à la fabrication des instruments de musique. Dès son enfance il avait été initié à cet art, et devenu membre d'une société d'harmonie d'instruments à vent, il avait fait de ses mains celui qu'il jouait. Pour la réalisation de ses projets il ne possédait qu'un instinct admirable et sa grande habileté de main. Dépourvu des outils nécessaires, et n'ayant pour le seconder aucun ouvrier capable, il lui fallait tout créer sans argent et sans autres ressources que lui-même ; mais rien n'ébranla sa confiance, et les obstacles ne purent dompter sa volonté. Lui-même, il fit tous les outils, appareils et machines nécessaires à ses travaux; lui-même, il forma ses ouvriers et s'instruisit en les dirigeant.
Il
serait trop long de dire ici par quelle série de succès à toutes les
expositions d'industrie, Sax parvint à monter des ateliers où
travaillaient quelques centaines d'ouvriers, et dans lesquels on
fabriquait tous les genres d'instruments de bois et de cuivre,
tandis que, sans capitaux, il devait à chaque instant se créer des
ressources nouvelles pour satisfaire aux dépenses énormes d'un
établissement colossal. Dès lors, le roi des Pays-Bas, Guillaume 1°, convaincu de la haute capacité de Sax, prit la résolution de l'aider dans ses vastes entreprises, et lui fit ouvrir un crédit sur les fonds de l'Etat. Tranquille de ce côté, l'artiste donna carrière à son imagination pour la création de nouvelles familles d'instruments, et conçut la haute pensée de ramener la construction des instrumentsà venta une théorie générale etposilivede laquelle devaient découler toutes les améliorations partielles pour chacun d'eux. Une illumination soudaine qui frappa son esprit, lui fit trouver, en 1832, la loi infaillible à l'aide de laquelle il divise les corps sonores et mesure la colonne d'air contenue dans les tubes. Dès lors il put donner à ces tubes des proportions exactes et relatives à la quantité d'air qu'ils doivent contenir, et déterminer à priori la place où doit être percé chaque trou pour chaque intonation, quelle que soit la dimension de l'instrument. Ce n'est point ainsi que procédaient les autres facteurs d'instruments : l'imitation et les tâtonnements étaient leurs ressources ordinaires, et c'est à cela que la plupart sont encore réduits au moment où ceci est écrit. Ecoutons ce qu'a dit de Sax le savant acousticien Savart, dans son Rapport sur l'exposition de 1839 : "M. Sax père nous a donné une preuve évidente et matérielle de la division des instruments à vent sur une flûte percée d'une vingtaine de grands trous qui donnaient la gamme chromatique la plus exacte et la plus pleine que nous ayons jamais entendue. Ces trous avaient été percés du premier coup, sans tâtonnement et à l'aide de son compas. Il en est résulté pour nous la conviction que M. Sax connaît la loi des vibrations d'une manière infaillible, et que les trous les plus grands donnent les sons les plus pleins. En forçant le soufle, sa flûte octavie deux ou trois fois avec la plus grande justesse."
Pourquoi faut-il que de si grandes et de si belles découvertes aient
été en partie paralysées par des événements inattendus ?
Sans la
révolution qui mit fin au royaume des Pays-Bas, Sax serait arrivé à
la fortune et aurait pu mettre en évidence son incontestable
supériorité.
A la suite de ce changement politique, il y eut pour
lui comme pour tout le monde une suspension forcée d'affaires.
Plus
tard il dut former une une association qui, loin de le relever, fut
la cause de sa ruine; et quand cette ruine fut consommée, des hommes
qui n'avaient pour toute instruction que l'imitation des produits,
de son talent, et qui, jusque-là,
étaient resté dans l'obscurité, se
montrèrent tout-à-coup avec assurance, et trourvèrrent dans quelques
artstes ingrats et a#jdes des protecteurs de leur médiocrité.
Supérieur à sa mauvaise
fortune, homme de bien autant qu'homme de talent, l'artiste a
conservé son calme et sa force de tête.
Poursuivant son œuvre, il
achève de perfectionner ses nombreuses améliorations du système des
instruments à vent, et, méditant sans relâche sur les mystères dé
l'acoustique, il vient de constater, par une expérience décisive,
l'existence d'un principe aussi nouveau qu'important pour la
meilleure construction possible des pianos, soit sous le rapport du
plus grand volume de son, soit sous celui de la conservation de ces
instruments.
Depuis longtemps il avait constaté que la puissance de son du
violon, dont le corps sonore est proportionnellement petit, provient
de ce que l'angle formé par les cordes avec le plan de la table, au
moyen du chevalet qui les élève, est la cause qui imprime à cette
table des vibrations énergiques, d'où résulte l'éclat des sons.
La
guitare lui avait aussi démontré que des cordes tendues
parallèlement à la table d'harmonie sont impuissantes à imprimer une
vibration totale à cette table, et conséquemment qu'on ne peut tirer
que des sons faibles d'un instrument ainsi construit.
Il en avait
conclu que la puissance des sons du piano serait infiniment plus
considérable que dans les meilleurs instruments actuels de cette
espèce, si la hauteur du chevalet était augmentée dans une
proportion convenable.
Par la plus heureuse conception, non seulement Sax a fait
disparaître ce danger, mais il a résolu de la manière la plus
complète un problème considéré jusqu'à ce jour comme insoluble,
lequel consiste à soustraire la table à l'action du tirage des
cordes, et conséquemment à donner à l'instrument toutes les
conditions de solidité et même d'amélioration, sans avoir recours
aux. moyens ordinaires du barrage en fer. Voici le moyen aussi
simple, aussi rationnel que victorieux, imaginé par l'habile
acousticien.
Ces points d'attache, comme on sait, portent sur des
sommiers. Le problème à résoudre était d'empêcher que la pression
énorme des cordes, soulevées de leur plan par l'élévation
considérable du chevalet qui leur fait décrire un angle d'environ 30
degrés, n'écrasât, dès le premier jour, le mince support de la table
d'harmonie.
La solution cherchée consistait à faire disparaître
cette charge, pour la rejeter aux points d'attache. Réduite à cette
simple donnée, cette solution fut trouvée immédiatement par Sax, qui
la formula de cette manière : Pour anéantir la pression des cordes
sur le chevalet et de celui-ci sur la table, deux forces égales
doivent agir en sens inverse.
Si donc une corde pèse sur le chevalet
dans une proportion déterminée par l'angle qu'elle décrit, une autre
corde, décrivant un angle égal opposé, soutiendra le chevalet dans
une proportion égale, puis, toutes deux ramenées au plan horizontal,
n'exerceront plus d'action que sur leur point d'attache.
Ce qui est
vrai pour deux cordes, l'est également pour toutes celles de
l'instrument divisées par moitié et agissant en sens inverse.
De
là vient que si vous appliquez la main sur une table de piano au
moment où une touche fait résonner une note quelconque, veus
reconnaissez qu'il est certains points de cette table qui ne
frémissent pas: les vibrations ne sont que partielles.
S'il n'en était
pas ainsi, le piano, au lieu de se détériorer en peu d'années,
s'améliorerait avec le temps; car la table de cet instrument
devrait, comme celle du violon, acquérir plus d'élasticité par un
usage fréquent.
Il y a deux choses distinctes dans un piano, à
savoir, le volume du son, qui réside dans la construction de la
caisse sonore, et la mécanique, d'où dépendent non-seulement la
légèreté, l'égalité du toucher et la puissance de l'attaque, mais le
timbre, c'est-à-dire la qualité et la distinction du son.
Cela posé,
il est évident que la mécanique, comme tout ce qui est soumis à
l'action du frottement, doit se détériorer par l'usage; mais le son,
dans son volume et sa propagation, devrait s'améliorer par
l'exercice de l'élasticité de la table.
Il est donc évident qu'un
grand et beau piano bien construit resterait toujours dans son état
primitif par un simple renouvellement de la mécanique, mais il
n'en est point ainsi, parce que le système en usage jusqu'à ce jour
doit avoir pour résultat l'altération progressive des qualités
vibratoires de l'instrument comme celles du toucher.
Il prit le parti le plus simple, qui fut d'appliquer
son système à un ancien petit piano droit de Lichtenthal, instrument
d'une sonorité sourde et courte, dont la mécanique, complètement,
usée, n'est composée que de marteaux trop petits qui balottent et
n'ont aucune rectitude ni aucune fermeté d'action, et enfin d'un
clavier dont les touches sont en perpétuelles oscillations et ne
font entendre que des claquements.
C'est avec ce bel instrument que
l'artiste voulut réaliser ses grandes vues. Ayant fait disparaître
la table, il la remplaça par une autre
qui n'a que la moitié
d'épaisseur de celles dont on fait généralement usage, et n'y adapta
aucun barrage.
Puis il établit son chevalet suivant les principes
que j'ai expliqués précédemment, tendit ses cordes, rajusta tant
bien que mal le vieux mécanisme de Lichtenthal, et enfin, un des
fils intelligents de cet homme de génie se mit à jouer de ce piano
fait à si peu de frais.
A l'instant même les passants s'arrêtèrent
dans la rue et cherchèrent à deviner où pouvait être le grand
orchestre qu'on entendait. Ce fut une rumeur.
Plusieurs artistes se
hâtèrent d'aller faire euxmême l'expérience du nouvel instrument, et
furent frappés d'admiration. Ce qui surtout les étonnait, c'était la
longue portée des sons vigoureux et purs, et la puissance des basses
dans un petit piano droit de la plus minime dimension.
Ces résultats
avaient été obtenus du premier coup, sans tâtonnement, et avec la
certitude que donne un principe à toute haute intelligence.
Vous seul ici, me
dit-il, pouvez me comprendre et expliquer ce que j'ai voulu faire
et ce que j'ai fait;
venez, et juges. Je ne tardai pas à le suivre. Il voulut me
surprendre, et dès qu'il sut que j'arrivais, il fit placer son fils
au piano.
Je fus réellement confondu à l'audition de ces sons de
cloches qui remplissaient la rue, les fenêtres étant fermées. Je rie
pouvais me persuader qu'ils fussent produits par une de ces petites
caisses d'instrument à sonorité négative, que je connais sous le nom
de Lichtenlhal.
Ceci n'était qu'une impression inattendue; mais ce
que je vis et étudiai ensuite dans l'atelier, fut une émotion plus
durable, une admiration sincère pour la belle découverte d'un de ces
principes féconds et radicaux qui sont le fond des choses, comme les
quatre lois de Keppler et l'attraction universelle de Newton sont
toute la science de l'astronomie.
Par l'idée non moins lumineuse de l'équilibre de deux
forces égales entre deux points fixes, il a déchargé la table
d'harmonie du poids des cordes, en sorte que si l'on pouvait retirer
cotte table, le chevalet resterait suspendu, et serait toujours le
point d'appui.
Devenue parfaitement libre de son poids supérieur, la
table se débarrasse également de son barrage qui nuisait à ses
vibrations, et ses excursions vibratoires deviennent tellement
énergiques, que ma main était vigoureusement impressionnée sur toute
sa surface, quelle que fût la note touchée. Par le fait
d'affranchfesement de son élasticité, la table ne peut plus raidir
ni se détériorer.
Au contraire, ses facultés vibraloires doivent
s'améliorer progressivement; d'où il suit que la rapide destruction
des pianos doit cesser, et que, par l'effet du temps, la sonorité
doit augmenter de volume et de pureté.
Il pense, d'ailleurs, qu'il est nécessaire de faire
entrer sa théorie pratique du son des pianos dans le domaine public,
et il s'est persuadé qu'une association des principaux facteurs
devrait se former pour atteindre ce but, et lui offrir une indemnité
proportionnée au service qu'il aura rendu.
Quoi qu'il en soit, le
père d'Adolphe Sax, autre inventeur doué d'autant de courage et de
persévérance que de talent, cet homme que-tant de beaux travaux
honoraient déjà et rendaient respectable, me parait destiné à
laisser un nom impérissable dans l'histoire de la facture des
pianos.
FÉTIS père."
Revue et gazette musicale de Paris, Volume 18,
1851, p. 129-131 - voir
LICHTENTHAL
à Bruxelles
(°1823).
1 mai 1851
Paris, 1° mai 1851.
Une de nos pianistes-amateurs les plus distinguées, Mlle
Nieho's, possède encore aujourd'hui un semblable piano à queue,
portant le n° 5602. (1) M. Pleyel a eu raison de penser que nous ne ferions nulle difficulté d'insérer sa lettre, sous toute réserve du droit de réponse et d'éclaircissements de la part de MM. Fétis et Sax père. La question nous parait valoir d'être étudiée dans l'intérêt général et particulier." Revue et gazette musicale de Paris, Volume 18, 1851, p. 141 - voir Marion DE LA BRILLANTAIS et - voir WÖLFEL (°1834)
7 mai 1851
"Paris,
7 mai.
Comme mon nom se trouve cité dans cette
lettre, je me vois obligé de vous adresser quelques mots en réponse
au passage qui me concerne, et f ose espérer que vous n'en refuserez
pas l'insertion.
Mon
système, au contraire, repose sur un ensemble de combinaisons pour
lequel j'ai oblenu un brevet de quinze ans, et qui n'a rien de
commun en principe avec les essais que M. Pleyel dit avoir faits en
1827 et 1828. Revue et gazette musicale de Paris, Volume 18, 1851, p. 150 - voir WÖLFEL (°1834)
8 mai 1851
"Sur
la découverte d'un nouveau principe physique; Pour le
perfectionnement des pianos. Mon étonnement provient non de ce que M. Pleyel élève une question de priorité, circonstance qui se reproduit chaque fois qu'une idée nouvelle se fait jour; mais de ce que l'auteur de la lettre présente, par inadvertance sans doute, comme objet principal de l'invention ce qui n'en est évidemment que l'accessoire. J'ai vu M. Pleyel autrefois fort occupé d'essais pour l'amélioration des pianos, et je le croyais très capable de saisir, au simple énoncé, la valeur des choses qui tendent à ce résultat. J'avais tâché de donner à mes explications toute la clarté possible: il parait que je n'ai pas atteint mon but.
Permettez-moi, Monsieur, de remettre la
question à son véritable point de vue, et d'en faire disparaître les
ambiguïtés par lesquelles on pourrait l'obscurcir. Occupé alors de constater par de belles expériences les phénomènes de la production des sons dans les trois systèmes de tubes des instruments à vent cylindriques, coniques et paraboliques, il ne songea point à tirer parti immédiatement de ce brevet. Plus tard vinrent les événements de 1830, qui paralysèrent ses travaux et le mirent dans la nécessité de se préoccuper des moyens de soutenir son établissement. Le temps s'écoula, et le moment vint où, pour ne pas perdre le bénéfice de son invention, M. Sax fut obligé de demander le renouvellement de son brevet, s'appuyant sur les circonstances qui ne lui avaient pas permis d'en faire usage.
Sa demande fut accueillie, et de nouveau un brevet lui
a été concédé pour le terme de quinze années. L'objet des deux
brevets est identiquement le même, sans variation, sans
modification aucune. M. Sax n'essaie pas, ne tâtonne pas: il sait
tout d'abord ce qu'il doit produire. M. Pleyel construit en 1836 et 1837 plusieurs instruments d'après ce système, et M. Thalberg joue un de ces pianos dans un concert donné à la même époque. Je n'écris pas pour faire remarquer que 1836 et 1837 viennent longtemps après 1829 : la priorité est évidente en faveur de M. Sax; mais encore une fois, je ne viens pas défendre ses droits sous ce rapport, car je m'occupe d'art, de science, et non d'industrie. Ce que j'ai à dire est plus sérieux, M. Thalberg joue un ùm pianos construite dans lû nouveau système en 1837.
Mais
vraisembalblement quelque chose s'opposait à ce que l'amélioration
qu'on espérait répondit à cette attente, car depuis lors M. Thalberg
n'a plus joué que des pianos de M. Erard ; et, ce quj est plus
significatif encore, M. Pleyel, qui fabriquait en 1836 et 1837 des
pianos d'après le système dont il s'agit, l'abandonne ensuite, et,
durant quatorze années, rentre dans le système ordinaires des
chevalets non compensateurs.
Ces pianos n'avaient pas de son, et M. Pleyel y a sagement
renoncé aussi bien que ses devanciers. Mais cette idée malheureuse était un pas rétrograde; car les tables longues, imaginées en 1806 par Petzold pour les pianos carrés, avaient été un progrès remarquable, ayant non seulement augmenté le prolongement des vibrations, mais ayant eu pour conséquences nécessaires l'allongement du levier des marteaux, la conception de l'échappement libre et l'usage des cordes d'une élasticité plus énergique. C'est à dater de cette époque que toutes les vues se sont portées vers la recherche d'une plus grande puissance sonore. Mais pour faire de longues tables sans barrage, il aurait fallu recourir ou au chevalet compensateur, ou au moyen artificiel d'une force mise en opposition à la traction des cordes ; or ce n'est que neuf ans plus tard que M. Pleyel fabrique deux pianos droits et plusieurs pianos à queue, dans lesquels il fait usage du chevalet compensateur; et dans ceux-là, le barrage des tables est conservé. Mais quel est ce chevalet compensateur ? Un chevalet qui ne fait point d'angle sensible avec les points d'attache des cordes, et dont la compensation serait conséquemment impuissante contre l'effort de traction, si la barrage de la table et les précautions ordinaires de solidité matérielle n'y suppléaient.
Ce chevalet n'a aucun rapport avec celui de M. Sax
père. Je le démontrerai tout à l'heure. Comment cette innovation s'est-elle fait connaître publiquement ? L'auteur de la lettre ne le dit pas. Pourtant cela est de grande importance; car je ferai voir tout à l'heure que toute la question qui nous occupe est là-dedans. A défaut de renseignements ou de l'exhibition d'un des instruments dont il s'agit, j'ai, par la nature même des choses, la preuve que M. Pleyel est dans une erreur complète en croyant voir quelque analogie entre son chevalet et celui de M. Sax. Pour démontrer cette proposition, j'ai besoin de remplacer les termes dont s'est servi l'auteur de la lettre par d'autres d'une exactitude plus rigoureuse. Ainsi, au lieu dedans la basse principalement, je dis : dans la basse seulement; car il est de toute évidence que le chevalet ne pouvait s'incliner par une courbe de la basse au-dessus.
Le chevalet
était en deux parties occupant des positions différentes : la partie
destinée aux cordes de la basse était dans un plan plus élevé que
celui du médium et du dessus. Non, car d'une part la forme du chevalet employée par les facteurs de piano y oppose un obstacle invincible, attendu qu'il est plat, que sa largeur est d'environ dix lignes dans une partie de son étendue, et qu'enfin les cordes font sur les pointes de ce chevalet deux angles horizontaux inversés qui, opposés aux deux angles d'inclinaison, causeraient inévitablement leur rupture lorsqu'on voudrait les tendre.
En second lieu, la surcharge énorme des cordes
formant des angles opposés d'inclinaison sur la table d'harmonie,
amènerait la destruction de celle-ci, si l'on n'y opposait le
contre-poids du chevalet compensateur. Cette inadvertance a lieu de m'étonner de la part du chef d'une des grandes fabriques de pianos de Paris. Je croyais cependant m'être exprimé avec assez de clarté pour qu'elle n'eût pas lieu. Ce que j'ai dit, c'est que la comparaison des qualités sonores du violon et de la guitare a fait reconnaître à M. Sax père que la table d'harmonie des instruments reçoit un ébranlement plus fort et produit des vibrations plus énergiques lorsque les cordes font avec son plan un angle plus ou moins aigu, que lorsque les cordes sont parallèles à son plan. J'ai dit que ce principe a conduit M. Sax à poser les cordes du piano sur un chevalet très-élevé.
Ce chevalet, aminci à son sommet comme celui
des instruments à archet, laisse glisser les cordes, qui ne sont pas
contraintes par des pointes, et qui ne frôlent pas, à cause des
angles qu'elles décrivent. L'objet du principe appliqué par M. Sax,
c'est donc la production de la plus grande puissance sonore
possible, et non la neutralisation de la pression que les cordes
exercent sur la table d harmonie. Cette idée, quelque ingénieuse qu'elle soit, n'est pas le but proposé, mais le moyen de l'atteindre. C'est une condition de solidité; mais, par soi-même, ce ne peut être une amélioration de l'instrument.
Cependant, de cette ingénieuse idée sort immédiatement une
conséquence très-importante pour l'objet principal, à savoir, que la
table, allégée de son poids, n'a plus besoin d'être soutenue par le
barrage, et qu'en faisant disparaître cet appareil devenu inutile,
on rend à la table d'harmonie la libre action de son élasticité, et,
par suite, on augmente ses qualités vibratoires.
11 mai 1851
"SUR LA DÉCOUVERTE D'UN NOUVEAU PRINCIPE PHYSIQUE.
Mon étonnement provient non de ce que M. Pleyel élève une question de
priorité, circonstance qui se reproduit chaque fois qu'une idée nouvelle
se fait jour; mais de ce que l'auteur de la lettre présente, par
inadvertance sans doute, comme objet principal de l'invention ce qui
n'en est évidemment que l'accessoire.
J'ai vu M. Pleyel autrefois fort occupé d'essais pour l'amélioration des
pianos, et je le croyais très capable de saisir, au simple énoncé, la
valeur des choses qui tendent à ce résultat.
J'avais taché de donner à mes explications toute la clarté possible : il
paraît que je n'ai pas atteint mon but. Permettez-moi, Monsieur, de
remettre la question à son véritable point de vue et d'en faire
disparaître les ambiguïtés par lesquelles on pourrait l'obscurcir.
Occupé alors de constater par de belles expériences les phénomènes de la
production des sons dans les trois systèmes de tubes des instruments à
vent cylindriques, coniques et paraboliques, il ne songea point à tirer
parti immédiatement de ce brevet.
Plus tard vinrent les événements de 1830, qui paralysèrent ses travaux et
le mirent dans la nécessité de se préoccuper des moyens de soutenir son
établissement.
Le temps s'écoula, et le moment vint où, pour ne pas perdre le bénéfice de
son invention, M. Sax fut obligé de demander le renouvellement de son
brevet, s'appuyant sur les circonstances qui ne lui avaient pas permis
d'en faire usage. Sa demande fut accueillie, et de nouveau un brevet lui
a été concédé pour le terme de quinze années.
L'objet des deux brevets est identiquement le même, sans variation, sans
modification aucune. M. Sax n'essaie pas, ne tâtonne pas : il sait tout
d'abord ce qu'il doit produire.
Je n'écris pas pour faire remarquer que 1836 et 1837 viennent longtemps
après 1829 : la priorité est évidente en faveur de M. Sax; mais encore
une fois, je ne viens pas défendre ses droits sous ce rapport, car je
m'occupe d'art, de science, et non d'industrie. Ce que j'ai à dire est
plus sérieux. M. Thalberg joue un des pianos construits dans le nonvnai
système en 1837.
Mais vraisembablement quelque chose s'opposait à ca[illisible] que
l'amélioration qu'on espérait répondit a cette attente, car depui: lors
M. Thalberg n'a plus joué que des pianos de M. Erard; et, ce qu est plus
significatif encore, M. Pleyel, qui fabriquait en 1836 et 183[?], des
pianos d'après le système dont il s'agit, l'abandonne ensuite, et durant
quatorze années, rentre dans le système ordinaires des chevalet: non
compensateurs.
C'est à dater de cette époque que toutes les vues se sont portées vers la
recherche d'une plus grand puissance sonore.
Mais pour faire de longues tables sans barrage, aurait fallu recourir ou
au chevalet compensateur, ou au moyen artificiel d'une force mise en
opposition à la traction des cordes; or ce n'est que neuf ans plus tard
que M. Pleyel fabrique deux pianos droits et plusieurs pianos à queue,
dans lesquels il fait usage du chevalet compensateur; et dans ceux-là,
le barrage des tables est conservé.
Mais quel est ce chevalet compensateur ? Un chevalet qui ne fait point
d'angle sensible avec les paints d'attache des cordes, et dont la
compensation serait conséquemment impuissante contre l'effort de motion,
si le barrage de la table et les précautions ordinaires de soliüté
matérielle n'y suppléaient. Ce chevalet n'a aucun rapport avec celui de
M. Sax père, je le démontrerai tout à l'heure.
En quel temps ces instruments ont-ils été fabriqués ? quel but le facteur
se proposait-il ? Comment cette innovation s'est-elle fait connaître
publiquement ? L'auteur de la lettre ne le dit pas. Pourtant cela est de
grande importance; car je ferai voir tout à l'heure que toute la
question qui nous occupe est là dedans.
A défaut de renseignements ou de l'exhibition d'un des instruments dont il
s'agit, j'ai, par la nature même des choses, la preuve que M. Pleyel est
dans une erreur complète en croyant voir quelque analogie entre son
chevalet et celui de M. Sax. Pour démontrer cette proposition, j'ai
besoin de remplacer les termes dont s'est servi l'auteur de la lettre
par d'autres d'une exactitude plus rigoureuse.
Ainsi, au lieu de : dans la basse principalement, je dis: dans la basse
seulemenl; car il est de toute évidence que le chevalet ne pouvait
s'incliner par une courbe de la basse au-dessus.
Le chevalet était en deux parties occupant des positions différentes: la
partie destinée aux cordes de la basse était dans un plan plus élevé que
celui du médium et du dessus.
Non, car d'une part la forme du chevalet employée par les facteurs de
piano y oppose un obstacle invincible, attendu qu'il est plat, que sa
largeur est d'environ dix lignes dans une partie de son étendue, et
qu'enfin les cordes font sur les pointes de ce chevalet deux angles
horizontaux inverses qui, opposés aux deux angles d'inclinaison,
causeraient inévitablement leur rupture lorsqu'on voudrait les tendre.
En second lieu, la surcharge énorme des cordes formant des angles opposés
d'inclinaison sur la table d'harmonie. amènerait la destruction de
celle-ci, si l'on n'y opposait le contre-poids du chevalet compensateur.
Cette inadvertance a lieu de m'étonner de la part du chef d'une des
grandes fabriques de pianos de Paris. Je croyais cependant m'ètre
exprimé avec assez de clarté pour qu'elle n'eût pas lieu.
Ce que j'ai dit, c'est que la comparaison des qualités sonores du violon
et de la guitare a fait reconnaître à M. Sax père que la table
d'harmonie des instruments reçoit un ébranlement plus fort et produit
des vibrations plus énergiques lorsque les cordes font avec son plan un
angle plus ou moins aigu, que lorsque les cordes sont parallèles à son
plan.
J'ai dit que ce principe a conduit M. Sax à poser les cordes du piano sur
un chevalet très-élevé. Ce chevalet, aminci à son sommet comme celui des
instruments à archet. laisse glisser les cordes, qui ne sont pas
contraintes par des pointes, et qui ne frôlent pas, à cause des angles
qu'elles décrivent.
L'objet du principe appliqué par M. Sax, c'est donc la production de la
plus grande puissance sonore possible, et non la neutralisation de la
pression que les cordes exercent sur la table de harmonie.
Cette idée, quelque ingénieuse qu'elle soit, n'est pas le but proposé,
mais le moyen de l'atteindre. C'est une condition de solidité; mais, par
soi-même, ce ne peut être une amélioration de l'instrument.
15 mai 1851
"Paris,
15 mai 1851. Les pianos à chevalets compensateurs que j'ai fabriqués en 1837 et 1838 sont donc les premiers de ce genre qui aient été mis en circulation en France, et la valeur vénale de l'invention de M. Sax père est nulle, puisque les procédés qu'il emploie sont dans le domaine public.
C'est tout ce que je tiens à établir, car je n'ai ni
le temps ni l'envie d'engager une polémique sur le mérite de celle
découverte. Lorsqu'elle sera mise en lumière, le public en jugera,
et son verdict réduira à leur juste valeur les louanges et les
critiques plus ou moins intéressées qui pourront en être faites. Revue et gazette musicale de Paris, Volume 18, 1851, p. 157
27 mai 1851
"Bruxelles
27 mai 1851.
Comment se fait-il enfin que vous ayez abandonné une si belle
invention pour rentrer dans les habitudes communes ?
Mais ce n'est pas
seulement à M. Pleyel que je dois parler, car la persistance qu'il a mise
dans sa deuxième lettre à maintenir ce qu'il avait avancé dans la première,
et sa manière de raisonner pour nier la possibilité que j'aie obtenu un
brevet d'invention pour un nouveau piano en 1829, m'obligent à rétablir des
faits irrécusables à la face du public.
Est-il possible que M. Pleyel se persuade qu'on ne prend de brevets
qu'en France? M. Fétis a dit en cela la vérité comme dans tout ce qu'il a
écrit.
Il aurait pu ajouter que j'avais obtenu, par arrêté royal du 23
février 1828, un brevet d'invention de 15 années pour une nouvelle harpe, et,
à la même date, un brevet d'invention de 13 ans pour un piano où je faisais
décrire aux cordes des angles opposés au plan de la table.
Il est donc
évident qu'en supposant qu'il y ait eût similitude d'invention, j'aurais
l'antériorité de huit années.
Je
m'attendais, d'après le titre qui est : d'une nouvelle construcion de
pianos, à trouver un plan descriptif présentant un piano de face et de
profil; mais je ne trouvai que deux feuilles volantes sur lesquelles on
avait tracé des lignes décrivant des courbes et des angles.
Du reste, point
d'assemblage de l'instrument; nulle apparence d'une nouvelle construction.
Mon attention se porta sur deux choses qui me paraissaient être l'objet
principal de l'invention, à savoir: une
J'entends par là, comme l'auteur, je
suppose, le point où la corde est attachée d'un côté, et celui où le
aboutit à la cheville de l'autre.
Or, suivant le plan de l'inventeur, il
s'ensuivrait que les cordes, décrivant un angle dans toute leur longueur,
exerceraient une pression énorme sur la table, et qu'aucun barrage ne
pourrait soutenir celle-ci. Quel moyen a donc trouvé l'inventeur pour obvier
è cet inconvénient radical ?
Le voici : il attache à son chevalet un fil de
fer correspondant au sommet de la perpendiculaire et fixé à une traverse
passant au-dessus des cordes, à l'effet d'opposer une résistance à la
pres-ion de celles-ci.
Certes, l'idée n'est pas heureuse; car si le fil de
fer allège la table, il anéantit en même temps la mobilité du chevalet qui
doit communiquer à la table l'impulsion des cordes, d'où résulte la
puissance vibratoire de l'instrument.
J'en conclus donc que la sonorité en
devait être considérablement atténuée, et que le remède était pire que le
mal.
Où est cet
autre côté ? L'auteur ne le dit pas, mais il faut que ce soit au-dessous de
la table. Pour l'exécution de cette ingénieuse idée, je voudrais bien que
l'auteur expliquât comment il se serait tiré d'affaire dans le haut de
l'instrument.
Le deuxième chevalet décrit dans son prétendu plan est
très-large; l'angle est formé dans son épaisseur et décrit un quasi-prisme
avec l'horizontale : je défie qu'à l'exécution on puisse tendre les cordes
sur un pareil chevalet et qu'on les fasse glisser pour les mettre d'accord.
Mon
invention n'est pas à l'état de projet; elle est réalisée. Tous les hommes
compétents qui sont à Bruxelles ont joué ou entendu mon piano; tous ont
reconnu l'exactitude des faits mentionnés dans le beau rapport de M. Fétis.
PLEYEL
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