"MM. ALEXANDRE,
PÈRE ET FILS, INVENTEURS DE L'0RGUE-MÉLODIUM. Médaille d'honneur à
l'Exposition universelle de 1855.
En appelant sous un même drapeau celui des arts et de l'industrie,
tous les hommes de travail et d'intelligence, l'Exposition
universelle nous a montré dans sa glorieuse arène tout ce que les
sociétés, dans ce siècle de progrès et de lumières, ont su découvrir
ou perfectionner.
Le génie nous a
montré ses chefs-d' œuvre. le travail ses fruits, multiples, variés
à l'infini, diversement utiles, mais s'harmonisant tous dans leur
imprévu et leur nouveauté, car ils ont une source commune, tendent
vers un même but, semblables à ces fleuves rapides qui se sont
formés goutte à goutte et vont ensuite, dans leur marche
irrésistible, répandre la fertilité et l'abondance dans les contrées
les plus lointaines.
L'industrie s'est
ouvert, de nos jours, une voie large, universelle et féconde, d'où
ressortent pour les siècles futurs de nouveaux éléments de
bien-être, de progrès et de civilisation.
Les arts aussi, flambeau de la vie intellectuelle, ont payé leur
tribut à l'Exposition de 1855, et sont venus mêler leurs brillants
produits à ceux de la science et du labeur, noble alliance qui fait
rêver à un avenir de paix, même au milieu de la tourmente.
Parmi les mille
créations dues à notre siècle et accumulées dans l'enceinte du
Palais de l'Industrie, les artistes, les amis du progrès, ont admiré
avec une vive sympathie un instrument qui est à lui seul le résumé
de l'histoire de l'art musical à notre époque :
c'est L'ORGUE EXPRESSIF OU
MÉLODIUM.
Chacun a pu
entendre les sons mélodieux, purs et complexes de cet instrument
unique; mais il est peu de personnes qui sachent quels efforts
d'intelligence, de travail, de persévérance, il a fallu accomplir
pour arriver à donner à l'art musical un interprète aussi parfait,
et qui en est comme la personnification moderne.
Citer cet
instrument, c'est parler d'un nom célèbre dans le monde artistique,
celui de MM. Alexandre, père et fils. La maison Alexandre,
considérée sous le point de vue matériel, s'est acquis une
importance qui la place au premier rang, ou plutôt lui donne un rang
unique pour la fabrication du noble instrument artistique, qui est
l'œuvre de ces habiles facteurs.
Cette appréciation est le résumé d'une superbe notice que M. Adam,
de l'Institut, vient de consacrer aux beaux et utiles travaux de MM.
Alexandre, père et fils.
Cette maison fut fondée en 1829, rue Meslay, et transportée, plus
tard, boulevart Bonne-Nouvelle, 10, à cause de l'immense extension
de ses affaires, qui s'élèvent aujourd'hui au chiffre de 1,500,000
francs par an.
Ses magasins d'exposition sont de vastes entrepôts, qui contiennent,
depuis l'Orgue à un jeu jusqu'au Piano-Liszt, pour plus de 500,000
francs d'instruments prêts à être livrés.
Quatre cents ouvriers sont constamment occupés dans les ateliers de
ce magnifique établissement, qui fait vivre un nombre considérable
de familles.
Pour donner au commerce de leur maison tout le développement
possible, MM. Alexandre, père et fils, n'ont reculé devant aucun
sacrifice : des dépôts ont été établis à grands frais dans toutes
les parties du monde, et de riches magasins, confiés à des
correspondants, offrent aux artistes et aux amateurs le moyen
d'apprécier et de se procurer l'instrument nouveau, qui est presque
aujourd'hui l'instrument universel, car il est peu d'églises ou de
chapelles, d'établissements publics, d'hôtels, de bateaux à vapeur
et de salons, qui ne possèdent un OUGUE-MÉLODIUM.
De plus, MM. Alexandre, père et fils. ont eu la bonne et généreuse
pensée de confier aux principaux virtuoses, tant en France qu'à
l'étranger, plus de cent cinquante Mélodiums, afin que ces maîtres
de l'art puissent étudier les ressources si variées de l'orgue
expressif, et donner une grande impulsion à sa propagation.
Enfin, pour que l'œuvre d'encouragement soit complète, MM. Alexandre
achètent et publient les morceaux écrits pour leurs instruments.
Nous ne saurions trop louer ce dévouement, qui révèle chez ces
facteurs d'élite un amour éclairé de l'art, et la conscience d'avoir
réalisé victorieusement une œuvre importante et pleine d'avenir.
Les compositeurs sont les maîtres de l'art musical; ils ont le
sentiment, l'inspiration ; l'exécutant traduit, interprète cette
pensée qui jaillit comme une étincelle, et il le fait d'autant mieux
qu'il possède, lui aussi, le sentiment de l'art. Mais, pour prendre
un libre essor, le génie musical a besoin d'un instrument qui soit
le fidèle interprète du sentiment ou de la science; il faut que
l'artiste puisse reproduire toutes les mélodies, tous les effets
qu'il a sentis et devinés; et, nous le proclamons hautement, le
Mélodium est l'instrument par excellence ; il reproduit les nuances
les plus variées, les mouvements les plus rapides, comme les sons
les plus larges, et peut remplacer tout un orchestre, car il réunit
plusieurs instruments en un seul. Enfin, le Mélodium offre aux
exécutants la facilité du clavier; solution si importante et si
difficile à obtenir.
Les inventions les plus utiles et les plus précieuses ont eu
généralement leur enfance; le plus souvent le germe s'en développe
lentement, et il faut souvent de longues années, un travail patient,
pour que la pensée devienne réalisable et puisse s'exploiter
utilement. Les résultats satisfaisants ne s'obtiennent qu'au moyen
d'additions, de perfectionnements apportés peu à peu.
Pour trouver les premiers éléments constitutifs de l'Orgue
expressif, on doit remonter à 1810.
Vers cette époque,
M. Grenié, amateur de mérite, inventa un petit orgue, au moyen
duquel on pouvait obtenir l'expression, ce qui avait été vainement
tenté jusqu'alors pour le grand orgue. L'Institut fit un rapport
favorable sur cet essai, qui était déjà un pas immense ; mais que de
chemin il restait à faire pour accomplir l'œuvre parfaite que nous
devons à MM. Alexandre, père et fils !
Le système de M. Grenié avorta en quelque sorte : les difficultés
d'exécution empêchèrent les artistes de s'y dévouer, et l'anche
libre, qui fut la base de l'orgue expressif de M. Grenié, ne devint
aussi la base de l'Orgue-Mélodium qu'après avoir subi bien des
vicissitudes et des applications indignes. L'anche libre donna
naissance à un petit instrument qui eut une vogue populaire; ce fut
l'harmonica qui devint, plus tard, accordéon.
Mais une vogue
commerciale ne pouvait pas satisfaire un homme de talent et
d'intelligence comme M. Alexandre père; il perfectionna l'accordéon,
y apporta d'heureuses innovations, l'éleva peu à peu jusqu'à sa
forme originaire longtemps perdue et méconnue, et lui rendit son nom
plus vrai d'Orgue expressif.
Pour M. Alexandre fils, encore enfant, ce résultat ne suffisait pas;
son génie inventif rêvait déjà les perfectionnements qu'il a
réalisés.
Juste appréciateur de ce qui avait été fait, il ne chercha point à
entrer dans une voie entièrement nouvelle, dont il n'eût fait sortir
qu'une ébauche, ainsi qu'il arrive pour toutes les inventions
naissantes. M. Alexandre fils voulait arriver à la perfection : il y
arriva.
Il commença par
étudier avec ardeur les procédés employés, et rendit excellent ce
qui était médiocre. MM. Alexandre, père et fils, expérimentèrent les
découvertes nouvelles, perfectionnèrent les timbres, et adoptèrent
l'ingénieux procédé dû à un facteur habile, qui consistait dans
l'application des registres de l'orgue d'église à l'orgue à anche
libre.
L'orgue expressif, doué de plusieurs jeux, parlant ensemble ou
séparément sur le clavier, devint, dès lors, l'objet de l'attention
et des sympathies du pu- blic artistique. Sa fabrication prit une
extension considérable.
Cependant la tâche
de MM. Alexandre, père et fils, n'était pas remplie : le siège de
leur maison fut transféré boulevart Bonne-Nouvelle, comme nous
l'avons dit plus haut, et ils continuèrent l'œuvre de
perfectionnement.
Les sons trop lents de l'orgue à anche libre rendaient l'exécution
des mouvements rapides impraticables ; MM. Alexandre appliquèrent le
système de percussion au Mélodium, et le domaine de cet instrument
ne connut plus de limites.
L'expression à la main et le prolongement des sons rendent le
Mélodium un instrument parfait, et permettent de reproduire sur
un-seul instrument des effets qu'il semblait impossible d'obtenir
sans le concours de plusieurs.
MM. Alexandre père et fils, après avoir obtenu de si brillants
résultats pour l'Orgue-Mélodium, ont procuré au piano un avantage
immense, le prolongement des sons.
On ne saurait
prévoir toutes les ressources que les artistes sauront trouver dans
ce nouveau moyen. Le célèbre Liszt en fut émerveillé ; il
désiraposséder un instrument qui fût à la hauteur de son génie et de
son talent d'exécution, et bientôt on put admirer, dans les salons
de. MM. Alexandre, ce chef-d'œuvre auquel ils ont donné le nom du
grand artiste.
Le PIANO-LISZT
est le résumé de tous les perfectionnements accomplispar MM.
Alexandre, qui ont choisi, pour appliquer leurs inventions, un piano
d'Érard.
Le Piano-Liszt est et restera le principe de deux grandes
innovations : le piano à vibrations prolongées et le Piano-Mélodium.
Le PIANO-MÉLODIUM à
deux claviers
: le clavier supérieur pour le piano, et le clavier inférieur pour
l'orgue.
Le piano reste dans
ses conditions d'indépendance complète, conservant toute son
individualité. En un mot, dit M. A. Frélon, qui s'est chargé de
décrire, spontanément et avec talent, toutes les découvertes de MM.
Alexandre, père et fils, le Piano-Mélodium est composé de deux
instruments complets, que l'exécutant peut faire parler séparément
ou simultanément, et qui, en se prêtant leurs qualités
individuelles, se complètent admirablement.
Disons, pour terminer, que MM. Alexandre, père et fils, ont rendu un
immense service à l'art musical, et que leurs succès, fruit d'une
haute habileté et d'une longue persévérance, les placent désormais
au rang des hommes les plus distingués de notre époque.
Aussi, la Médaille
d'honneur, qu'ils viennent d'obtenir à l'Exposition universelle de
1855, est-elle généralement considérée comme la légitime récompense
des beaux travaux de ces facteurs d'élite.
N.-M. LE SENNE, Avocat il la Cour d'appel de Paris."
Biographie des exposants de 1855, contenant
des notices détaillées sur les inventions, les travaux... de ceux
qui sont les gloires manufacturières, industrielles, agricoles et
artistiques de la France et de l'étrange, 1855, p.
159-168 (gallica.bnf.fr)
ALEXANDRE
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Pianos
français 1800 - 1829
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