"UN des derniers progrès accomplis dans la fabrication du piano remonte à
l'invention du piano oblique, invention d'un très-grand mérite, qui a
permis de restituer à notre piano moderne, dont l'exiguïté est une des
fâcheuses nécessités des mœurs et des habitudes nouvelles, une partie de
la sonorité des anciens pianos à queue.
Telle a été, en effet, depuis l'abandon du majestueux mais immense piano
à queue, la préoccupation quelque peu ingrate du facteur de pianos :
Remonter au passé et s'efforcer d'atteindre, dans des conditions
défavorables, avec des moyens insuffisants, la perfection d'autrefois.
Il serait certainement injuste de méconnaître le mérite des efforts
tentés dans cette voie, les résultats remarquables, mieux que cela,
admirables, obtenus par nos facteurs doués d'une très-grande habileté,
sinon d'un grand génie.
Si la difficulté à vaincre était grande, grand
aussi était leur courage, et l'on peut dire que tout ce qui pouvait être
fait, ils l'ont fait et qu'ils ne se sont
arrêtés que devant l'impossible.
Depuis l'invention de Silbermann, qui fonda la première fabrique de
pianos en 1745, que d'efforts tentes et que de progrès réalisés !
L'adjonction des pédales, du barrage en fer ou en bois, du double
échappement, d'un sommier en métal, de la table d'harmonie en sapin, de
la percussion double, des cordes demi-obliques et enfin des cordes
croisées, a signalé les diverses phases de perfectionnement de cet
instrument.
Beaucoup de personnes s'étonnent du succès colossal obtenu
par le piano : il a sa raison d'être, si l'on considère qu'il rend dix
sons à la fois, et donne en même temps le chant et l'harmonie; de plus
il se prête merveilleusement bien aux travaux préliminaires de
l'orchestration. Si nous ajoutons qu'il tolère une certaine médiocrité,
et que, sans être un artiste consommé, on peut arriver à produire
certains effets, nous aurons dit ce que nous pensons en faveur de ce bel
instrument.
Il n'en est pas de même de la flûte, du violon, du cornet à
pistons qui ne sont supportables qu'entre les mains de grands artistes.
A côté des grands noms qui sont la gloire de l'industrie des pianos, ily
a aujourd'hui quelques facteurs qui, modestement, sans faire de bruit,
livrent d'excellents instruments capables de défier toute concurrence.
Comme complément de notre étude sur le piano, pour présenter et pour
recommander à nos lecteurs une maison de confiance qui a la réputation
de bien faire, nous avons prié M. J.-B. Baehr de nous faire visiter sa
manufacture, située 11, rue des Récollets, à Paris.
Nous avions déjà eu
l'occasion d'admirer ces beaux instruments à la classe des instruments
de musique à l'exposition de Melun. Nous venons de les essayer et nous
avons pu nous rendre compte par nous-même de la sonorité de ces pianos
demi-obliques, de l'ampleur du son des basses, du moelleux du médium,
etde la douceur flûtée des notes d'en haut.
Quant au meuble, il ne laisse rien à désirersous le rapport de
l'élégance et de la correction du dessin.
Les pianos construits par M. J.-B. Baehr sont des pianos demi-obliques,
sept octaves, pédale céleste, à cylindres et consoles sculptés, panneaux
coins ronds, doubles flambeaux : hauteur, 1m25, largeur, lm43,
profondeur, 0m62. M. Baehr les établit au prix de 1.050 fr.
Cet artiste construit spécialement ce type de piano, il a consacré tous
ses soins à ce modèle unique en y introduisant tous les
perfectionnements connus jusqu'à ce jour ; le système de barrage en bois
adopté par lui se recommande de lui-même au point de vue de la solidité
et de l'exportation, il est bien préférable au barrage en fer au point
de vue des vibrations de ce dernier.
Résumons-nous : beau meuble et bonne sonorité ; rien n'est négligé dans
les moindres détails de ces instruments sur lesquels nous attirons
l'attention des professeurs et des marchands de pianos. STEVENS."
Le Panthéon de l'industrie : journal hebdomadaire
illustré, 1880, p. 228 (gallica.bnf.fr)
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