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MÉRIEL
de Caen (°1838)

1892

UNE MANUFACTURE DE PIANOS À CAEN

  "Á l'occasion de la plupart des excursions que nous avons faites dans les départements, nous avons été, déjà bien des fois à même de constater que, malgré la haute place qu'elle occupe dans les arts indus triels, Paris n'est pas la seule ville qui ait imprimé à toutes nos branches de fabrication cette impulsion et cet essor dont nous sommes toujours heureux de suivre le mouvement dans notre revue encyclopédique.

Nous trouvons aujourd'hui, à Caen, un nouvél exemple de cette décentralisation industrielle et artistique qui est le signe distinctif de notre civilisation et de notre caractère national.

Sans méconnaître le mérite de certaines de nos industries parisiennes, de la fabrication des pianos, par exemple, nous sommes en mesure d'affirmer, après la visite que nous venons de faire à la maison Alph. Mériel fils, à Caen, que les pianos de cet établissement n'ont rien à envier aux meilleurs instruments des premières maisons de Paris.

La fondation de cet établissement remonte d'ailleurs à 1838 ; son ancienneté serait donc déjà uu titre suffisant pour attirer notre attention ; mais ce qui lui assigne aussi la grande place qu'il occupe dans cette importante région, c'est qu'il est le seuf de toute la Normandie qui ait abordé cette entreprise ; il n'y a dans tous les départements normands aucune autre manufacture de pianos ; tous ceux: qui, dans le pays, vendent ces instruments, ne sont que des intermédiaires entre les fabricants et le publie.

La maison, fondée en 1838 par M. L. Mériel actuellement dirigée par M. Alph. Mériel fils, n'a donc pas seulement pour elle son ancienneté et sa réputation, consacrée par de nombreuses médailles et des diplômes d'honneur dans les expositions, elle est aussi la seule qui ait entrepris, en Normandie, d'implanter une grande industrie florissante dont sa prospérité et ses succès sont les plus éclatants témoignages. On sait que les premiers pianos, affectant naturellement la forme des clavecins, étaient des pianos à queue.

Mais cette construction massive, encombrante et incommode n'a pas tardé à faire place aux pianos droits dont les dimensions plus restreintes permettent de loger ces instruments dans des pièces beaucoup plus petites. Au premier abord, on pouvait croire que cette transformation diminuerait proportionnellement leur sonorité, par suite de la diminution même des dimensions de la caisse qui forme leur enveloppe extérieure. Il n'en a rien été, heureusement, grâce à la prévoyance des facteurs qui ont su créer de nouvelles combinaisons pour n'avoir rien à sacrifier de la longueur des cordes.

De là l'origine des pianos à cordes croisées, quartobliques, demi-obliques, etc., dans lesquels le croisement et l'obliquité des cordes ont permis de développer celles-ci sur une plus grande longueur et d'en obtenir le maximum de sonorité qu'ou n'obtenait autrefois que dans les pianos à queue.

La maison A. Mériel fils n'a rien négligé pour se tenir au courant de tous les progrès et de tous les perfectionnements apportés dans ce sens à la fabrication de ses instruments ; cette industrie lui est même redevable de certaines créations spéciales que nous ferons connaître plus loin, créations d'or dre technique et économique qui sont hautement appréciées des instrumentistes de profession aussi bien que des amateurs. Nous avons tout d'abord à signaler les quatre principaux types de pianos fabriqués par la maison, savoir :

Le type n° 1, piano droit à cordes verticales, à 2 et 3 cordes par note et à sept octaves.

Le type n° 2, piano droit à cordes verticales, modèle à cylindre, même nombre d'octaves que le précédent, 3 cordes par note;

Le type n° 3, piano droit à cordes quart-obliques, modèle Pleyel, à double cylindre;

et enfin le type n° 4, à cordes demi-obliques, à double cylindre. Tous ces modèles sont très soignés et très osolides, et peuvent être fabriqués pour le bord de la mer, c'est-à-dire pour la clientèle spéciale des stations balnéaires, dont les exigences sont d'autant plus grandes que les émanations salines ne sont pas sans influence sur l'accord et sur la fragilité même des cordes sujettes à l'oxydation dans les pianos ordinaires.

C'est ici que nous avons à faire connaître un per fectionnement économique dont les clients de la maison A. Mériel apprécient très hautement la valeur.

Nous voulons parler des cordes nikelées inoxydables dont chacun des pianos de cette maison est pourvu, quel qu'en soit le type. Pour le voisinage de la mer, M. A. Mériel fait aussi des pianos à caisse en pitch-pin massif et noyer d'Amérique bois inaltérable qui protège encore très efficacement l'instrument contre toutes les influences atmosphériques de nature à exercer une action sur l'accord, la sonorité ou la solidité même de toutes ses parties.

Mais en dehors de ces perfectionnements particuliers aux pianos destinés aux stations balnéaires, nous avons à signaler une amélioration d'un caractère plus technique et plus général qui rend de grands services aux artistes (principalement aux chanteurs) et aux amateurs; c'est l'application d'un nouveau système transpositeur du clavier qui permet à l'artiste d'exécuter un morceau ou un accompagnement dans n'importe quel ton, sans avoir à faire, à la simple lecture musicale, une transposition toujours pénible à première vue et qui n'est même pas à la portée du premier musicien venu.

Avec le mécanisme transpositeur de la maison A. Mériel, le pianiste, pour passer d'un ton dans un autre, sans avoir à traduire, en lisant, la musique notée dans un ton qui ne convient pas au chanteur, le pianiste fera avancer ou reculer son clavier d'un demi ton, d'un ou de deux tons, suivant le besoin, de telle sorte qu'il pourra jouer à volonté le même air en ut, en si naturel ou en si bémol, suivant qu'il aura baissé son clavier d'un demi ton ou d'un ton.

C'est là, on le comprend, un perfectionnement important sur lequel nous tenions à insister, à cause des ressources multiples qu'il offre aux musiciens en général et spécialement aux compositeurs, aux improvisateurs et à tous les pianistes appelés à jouer, dans les concerts ou les réunions de famille, le rôle d'accompagnateur si souvent ingrat, lorsque, pour être agréable à un chanteur, on est obligé de transposer un accompagnement, au risque de jouer faux tout en infligeant à ses doigts un véritable supplice.

Ce système transpositeur, inventé par M. L. Mériel père, et pour lequel la maison est brevetée, est applicable à la plupart des pianos, en ce sens qu'il est entièrement indépendant de l'instrument et que son adaptation et sa manœuvre sont aussi simples que faciles.

En résumé, la maison est installée pour la fabrication complète des pianos ; elle est pourvue, dans ce but, de tout le matériel nécessaire et de l'outillage le plus perfectionné pour la facture exclusive des instruments solides, d'une belle sonorité, d'un bon timbre ; toutes les parties en sont soigneusement boulonnées, et enfin, comme nous l'avons dit, tous les pianos sont construits en vue de résister aux influences de la température spéciale des stations de bains de mer, soit par la nature du bois qui en forme les diverses parties, soit par le nickelage des cordes qui leur permet de défier l'oxydation et de tenir l'accord beaucoup plus longtemps. Par suite de l'extension de ses relations dans toute cette partie de l'Ouest de la France, la maison Alph. Mériel a dû installer deux succursales, l'une à Lisieux, l'autre à Granville.

C'est assez dire qu'en dehors des distinctions si honorables qu'elle a obtenues dans toutes les expositions où ont figuré ses pianos, sa vieille et légitime réputation n'est pas moins hautement consacrée par les suffrages de l'opinion publique. L. " Le Panthéon de l'industrie : journal hebdomadaire illustré, 1886, p. 123-124 (gallica.bnf.fr)

Pour les références voyez la page
Pianos français 1830 - 1839


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